Jour 50 - 14/06/19 - 3mi (+16) - Total: 770mi/1232km

00h01, le réveil sonne. J'ouvre la tente. C'est presque la pleine lune, du coup on y voit plutôt bien. Je range quelques affaires, déjeune et pars avec Mummy à la lumière de nos frontales. Les 2 premiers miles sont plutôt roulants. La difficulté est surtout de trouver le sentier dans la forêt enneigée et traverser une ancienne avalanche avec tous ces arbres morts. On monte progressivement jusqu'à dépasser la forêt et arriver à un énorme plateau tout enneigé. Les géants de pierres que sont les plus hauts sommets des USA sont impressionnants à la lueur de la lune. Seul le son de la neige qui crisse sous nos crampons nous accompagne. On arrive face à la paroi à grimper. Le chemin qui est censé faire des lacets est quasi totalement sous la neige. On suit donc les marches qui ont déjà plus ou moins étaient bien faites afin de monter ou traverser les énormes névés qui recouvrent la face et le chemin. On progresse à coup de piolet. Je suis devant et m'occupe de faire les marches, Mummy n'a pas vraiment d'expérience d'ascension enneigée. Par moment on arrive à rejoindre le sentier à moitié découvert sur quelques mètres. Ça repose les jambes. Surtout que les névés (surtout un très gros) commencent à vraiment être inclinés. Je crois avoir lu que c'est par ce névé que l'on grimpe en alpinisme, quand les lacets sont recouverts... Et c'est clairement ce que l'on est en train de faire. La neige est glacée, l'inclinaison et la centaine de mètres parcourus directement dans la face commence à faire réfléchir mon compagnon. Je vérifie qu'il sait bien utiliser son piolet en cas de chute. On continue encore un peu. Cette paroi est interminable et le vide en cas de chute de plus en plus important. Mummy commence sérieusement à faire demi tour, surtout que la lune s'est couchée et il fait maintenant nuit noire. On trouve un bout de trail pour se poser et réfléchir. De mon côté si Mummy décide d'arrêter je ne sais pas si je continue. Seul le risque est important en cas de pépins. Au moment où l'on fait la liste des "pour" et des "contre" on voit 2 frontales plus bas. Je propose  d'attendre qu'ils arrivent à notre niveau et de les accompagner. A 4 les traces seront bien meilleures. On attend donc nos futurs compagnons. En contrebas les lumières des frontales montent lentement mais sûrement. Quand elles arrivent à hauteur de voix on entame la conversation. On ne peut mettre de visage sur les voix avec les frontales en pleine tête, mais la vue d'autres personnes redonne du baume au cœur. C'est parti on se suit tous les 4. Il fait tellement noir que l'on ne voit plus le vide et cela aide. Après avoir finalement atteint le sommet du névé, quelques mètres d'escalade sur un gros pierrier et l'on rejoint enfin les derniers lacets praticables. On arrive ensuite à la jonction qui permet de redescendre de l'autre coté ou bien d'aller au sommet. Un panneau alerte sur les risques. On est à un peu plus de 4000m maintenant et il nous reste 2 miles dont un chemin tout en balcon bien escarpé quasiment recouvert de neige. C'est impressionnant, faut pas faire de faux pas mais le plus dur est derrière nous, surtout que le jour commence à pointer son nez. Au bout d'un moment on pourra voir un levé de soleil rougeoyant à travers les dents de la paroi. La traversée en balcon nous fait déboucher sur la vue de la dernière face à gravir. On tient le bon bout. Après encore quelques marches dans la neige, on y est!!! Quelle vue mes amis! Un 360 degrés de dingue, plus haut que tout ce qui nous entoure. Il fait bien froid là haut, donc je fais tout ce que j'étais venu faire:

- Antoine, ton grigri que j'ai fièrement porté jusque là restera au sommet des États-Unis aux cotés des drapeaux népalais.

- Vinz, tes cheveux sont sous un caillou à coté de la plaque du sommet.

- Flore, Crys, Agathe, une petite dédicace. Même à 4400m on s'entraine ;-)

Bref, il caille, on décide de redescendre. Toute la première partie se passe bien. La seconde beaucoup moins. On arrive au gros névé à redescendre. Mummy n'est pas à l'aise. Je propose dans un premier temps de passer par un bout de pierrier. Après avoir descendu quelques dizaines de mètres je dis qu'il faut arrêter. La roche ne tient pas en place et il y a de gros risques de faire tomber des cailloux. Dangereux pour nous et pour des gens plus bas si il y en a. Pas le choix il faut prendre le névé. Je montre à Mummy comment reprendre les traces tout en se retenant avec le piolet. Ça à l'air d'aller, pas rassuré mais il descend tranquillement. De mon coté je décide de descendre de manière un peu plus sensationnelle. Je me mets sur les fesses et me laisse glisser, en enfonçant plus ou moins le piolet, ça me permet d'aller plus ou moins vite. Tout se passe bien jusqu'à ce que... Je ne suis plus qu'à une vingtaine de mètres de la fin du névé, où le pierrier reprend. Mummy est bien 30m au-dessus. Je descends tranquille, quand soudain j'entends un cri. Je me stoppe net, me retourne et me prépare à voir une pierre tomber. Mais là je vois mon compatriote glisser de la face à toute vitesse. Je lui crie "piolet!", "plante ton piolet!". A ce moment-là je ne sais pas encore qu'il a lâché son piolet. Je ne peux rien faire, il me dépasse bien trop à droite à toute vitesse. Je le vois se scratcher dans les rochers sous moi. A ce moment là je ne réfléchis plus et descends le reste du névé comme une balle. Me stoppe dans le pierrier, enjambe en courant les rochers. Tout en me rapprochant, je lui demande où est ce qu'il a mal, je m'attends au pire. Pas de réponse. J'arrive à sa hauteur. Il me répond que ça va mais qu'il saigne de la jambe droite. Je lui demande de bouger tous ses autres membres, rien de casser. Je checke sa jambe, ce n'est qu'une éraflure superficielle due au frottement sur la neige gelée. Il a aussi un bel hématome sur la fesse. Bien plus de peur que de mal. C'est même plutôt un miracle, Lucky Guy comme on l'a appelé après. Quelle frayeur quand même. Ça restera gravé dans ma tête. Je regarde plus haut et vois son piolet resté planté 50m plus haut. Puis vois un truc rebondir sur le névé. Ce n'est pas un caillou mais je dis à Mummy de se protéger. Il s'agit d'une bouteille vide avec un filtre au bout. Je réussi à la récupérer. C'est à nos 2 autres compagnons de montée. Ils sont bien plus haut. Je demande à Mummy s'il peut marcher. Il se met debout facilement. Je lui dis d'aller de suite à la cabane de ranger, ils doivent avoir ce qu'il faut pour le soigner. Je lui dis que je vais récupérer son piolet. Tandis qu'il s'en va je commence à remonter. Quelques minutes plus tard je vois les autres descendre, arriver presque au niveau du piolet. Je leur demande en criant s'ils peuvent le récupérer. Ils comprennent. Ça m'évitera une sacrée grimpette. L'un des 2 décroche un beau caillou. Je l'entends siffler à quelques dizaines de mètres de moi. Je leur dis de descendre sur le névé. Je les attends. On descendra tous les 3 ensemble jusqu'au camp en répétant toutes les 30 secondes "fucking day", et à quel point il a été chanceux. Je vois au loin Mummy marcher. Il avance bien, c'est rassurant. De retour au camp, le temps que je pose mes affaires je vois revenir Mummy, la jambe toute bandée (décidément il porte bien son trail name). Tout va bien, rien de grave. On commence déjà à en rigoler. Les nerfs sans doutes. Il est midi passé. On décide de manger un bout, et faire une bonne sieste. Puis je demande à Mummy ce qu'il veut faire. Je ne vais pas l'abandonner dans cet état là. ll se sent capable de marcher histoire se retrouver le PCT et camper à 4 miles de là proche d'un torrent à traverser. On range tout puis on part. On marche bien, tout en se ressassant tout ce qui s'est passé aujourd'hui. On arrive à notre spot pour camper. Le torrent gronde. A chaque jour ses problèmes, on mange, plante nos tentes et allons dormir, fatigués physiquement et mentalement...

PS: j'ai fait caca à plus de 4000m.